27 janvier 2014

A Ouidah dans la villa Ajavon, le nouveau musée d’art contemporain de l’Afrique

A Ouidah au Bénin la découverte de la villa Ajavon a précipité la création du musée d’art contemporain de Ouidah, le premier du genre en Afrique subsaharienne.

Le Musée_Fondation Zinsou©Jean Dominique Burton-17
Credit photo: Jean-Dominique Burton

Cela fait bien longtemps que l’idée lui « trottait l’esprit ». En 2005 tout juste après l’ouverture de la Fondation Zinsou, cet institut qui s’est assigné comme mission, la promotion de la culture et plus particulièrement de la création contemporaine, Marie-Cécile Zinsou exprime le désir de créer un musée d’art contemporain pour « contribuer à la préservation du patrimoine africain sur la terre de ses origines », pouvoir remédier à sa délocalisation vers les marchés extérieurs mais surtout le rendre accessible aux africains, eux-mêmes. Les Africains pendant longtemps se sont désintéressés de tout ce qui était expression artistique contemporaine. Tout juste, explique Marie-Cécile « parce qu’il n’y avait pas de musée ou qu’ils sont payants » dès lors qu’ils sont créés. Pour la Fondation Zinsou « La culture est un droit et ne peut ni ne doit être considérée comme un luxe. Il est primordial, aujourd’hui, de permettre aux enfants et aux adultes du Bénin d’avoir un accès à la culture ».

L’idée ainsi lancée, Marie-Cécile Zinsou se donne au départ 10 ans pour pouvoir réaliser ce projet. Entre temps la collection d’œuvres contemporaines dont est propriétaire la famille Zinsou est devenue très importante [ndlr : la collection compte aujourd’hui plus de milles œuvres]. Pour le lieu qu’abritera le futur musée, il faut une maison, de préférence ancienne. Mais surtout emblématique, qui ait une histoire.

La découverte de la villa Ajavon

Elle va donc activer les recherches. Elle fait de temps en temps attention aux maisons à chaque sortie dans les villes du Bénin pour voir si elles sont éventuellement disponibles. De son chronogramme de départ environ six années sont passées. « Cela fait un bon moment que je cherchais de belles maisons anciennes qu’on puisse rénover. Lors d’une visite au Japon sur l’île de Naoshima, j’avais été fascinée par un projet qui consistait à rénover des maisons anciennes et à les donner aux artistes qui à leur tour en faisaient soit des installations soit des projets. Il y avait quelque chose entre les maisons anciennes et l’art contemporain. J’avais envie d’avoir quelque chose comme ça au Bénin », raconte-t-elle. Puis vient ce jour, où Gisèle Capo-Chichi, l’une des descendantes de la famille Ajavon alors directrice administrative de la fondation, lui propose la villa Ajavon. La vieille maison familiale où elle a passé son enfance, alors en déliquescence et laissée à l’abandon.

Après une visite, Marie-Cécile tombe ainsi sous le charme de la villa Ajavon. C’est une architecture qu’elle connaît déjà : « Dans mes recherches, j’avais déjà vu une maison du côté du Togo, qui en fait était la maison du même propriétaire. Mr Ajavon avait construit la même maison à dix ans d’écart au Togo et au Bénin. Et j’avais été déjà très frappée par cette maison », explique-t-elle.

La villa répond donc parfaitement à ce qu’elle voulait. Elle est emblématique, porte une histoire, est témoin vivant du riche passé qu’a connu Ouidah en étant l’un des principaux points d’embarquement des esclaves vers les Amériques. « La dimension du patrimoine était importante  dans notre projet, explique Marie-Cécile Zinsou. Et la maison avait un potentiel énorme. C’est une maison historique qui est un patrimoine afro-brésilien tout à fait important et qui est assurément l’un des plus beaux éléments du patrimoine du sud-Bénin. Elle est décrite dans tous les livres d’architecture. C’est vraiment une maison emblématique. C’était dommage que cette maison s’abîme avec le temps, et c’était bien de la restaurer. C’est un chantier intéressant ! Cela aurait pu se faire ailleurs. Mais il se trouve que cela s’est fait à Ouidah ».

Située derrière la Basilique Immaculée Conception de Ouidah, la villa Ajavon est la propriété d’un riche commerçant togolais. Construit en 1922 l’édifice se singularise par son architecture originale : un toit pagode, de nombreuses fenêtres qui s’ouvrent sur l’extérieur ou encore la hauteur des plafonds. Autant d’aspects qui édifient sur le caractère distinctif de l’architecture afro-brésilienne.

La découverte de la villa accélère donc la réalisation du projet.  « La maison a déclenché le projet plus vite que prévu. En 2005, on s’était dit qu’on se donnait dix ans pour créer un lieu pour la collection permanente. Finalement c’est au bout de huit ans qu’on a ouvert le musée. Mais c’est lié à la découverte de la maison, à la possibilité de rénovation, à la possibilité de récupération dans la fondation ».

Un an de travaux a été nécessaire pour lui redonner une nouvelle vie. Un an pour consolider le bâtiment, recréer le toit pagode qui n’existait plus, remettre le sol à niveau, refaire les boiseries, remplacer les fenêtres, installer l’électricité, créer les sanitaires puis mettre les peintures pour qu’enfin l’ancienne maison  puisse devenir musée.

La visite au musée, un voyage à travers plusieurs cultures

Le Musée_Fondation Zinsou_Salle Samuel Fosso©Jean-Dominique Burton-68
Crédit photo: Jean-Dominique Burton

Déjà trois mois que le musée est ouvert au public. Le 11 novembre 2013, le nouveau musée d’art contemporain africain ouvrait officiellement ses portes. Il a déjà passé la barre des 10 milles visiteurs.

Au Musée, pour la première exposition dénommée « chefs d’œuvres sur la collection » sont à l’honneur 14 artistes d’origines diverses.

La visite au musée est un voyage à travers les cultures de plusieurs pays. Elle commence par la salle qui abrite les photographies burlesques du Camerounais Samuel Fosso. Sur ces photos l’artiste se déguise lui-même pour incarner des personnages. Si ce n’est le portrait d’une femme américaine dans les années 70, c’est le cliché d’un roi impudique et cupide qui a vendu tous ses sujets contre des pacotilles ou plutôt le portrait du Capitaine Tournesol. La seconde salle présente « deux pionniers de la photographie en Afrique : Malick Sidibé et Seydou Kéita». Pour ainsi reprendre les mots du guide. Ils sont Maliens et leurs photographies très expressives parlent de la mode des années 50.

Il faut aussi faire un tour en Afrique du Sud avec la salle affectée aux œuvres de Bruce Clarke. Avec une technique mixte : la peinture, le collage ou le grattage, l’artiste engagé a sa manière d’aborder certains sujets de société. Comme avec son tableau « évidence » où il rend hommage à des victimes anonymes de l’apartheid en Afrique du sud et du génocide au Rwanda.

La salle suivante nous fait remonter en Afrique de l’Ouest et plus précisément en Côte d’ivoire pour découvrir les pictogrammes de Félix Bruly Bouabré. A travers ces pictogrammes, l’artiste raconte les légendes et mythes des cultures africaines comme ici la légende de l’immortalité.

Les masques Guèlèdè de Kifouli

Le Musée_Fondation Zinsou_Salle Kifouli Dossou©Jean-Dominique Burton-40
Crédit photo: Jean-Dominique Burton

Le Bénin se distingue dans la collection permanente du musée à travers l’œuvre de Kifouli Dossou, appelée le « sondage ». Kifouli Dossou est un sculpteur natif de Covè. Une ville du sud-Bénin située à environ 140 km de Cotonou. Il est un spécialiste de la sculpture des masques Guèlèdè. Le Guèlèdè est un patrimoine oral propre aux communautés Yoruba et Nago du Bénin et du Nigéria. Il est inscrit en 2008 au patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO. En 2011, à la veille des élections présidentielles, la fondation Zinsou commande à Kifouli Dossou un sondage pour comprendre les grandes préoccupations de la population. Après ce sondage, l’artiste retient dix thématiques qu’il pense essentielles. Il reproduit ensuite des scènes sur dix masques Guèlèdè pour illustrer ces différentes thématiques. Sculpté dans un seul tronc d’arbre, chaque masque parle d’une préoccupation et raconte une histoire. Parmi les sujets  que traitent les masques Guèlèdè de Kifouli on peut noter la difficulté d’accès à l’éducation en milieu rural, l’absence d’énergie électrique dans les villages, le faible pouvoir d’achat des fonctionnaires, la dégradation de nos infrastructures routières ou encore le difficile accès aux soins de santé.

Kifouli Dossou sait parler aussi de chose assez triste comme en témoigne ce géant masque Guèlèdè qu’on a intentionnellement exposé dans cette salle noire. A travers ce masque monoxyle entouré de squelettes, Kifouli Dossou parle de la mort.

En 2059, les millions de béninois se battront pour un seul épi de maïs 

Dans cette collection permanente du musée d’art contemporain de Ouidah, le Bénin occupe une place prépondérante. Avec la présence de Romuald Hazoumè artiste né en 1962 qui fait de la photographie, de la sculpture et de la peinture. Dans la salle dédiée aux œuvres de cet artiste, on peut remarquer ses photographies qui évoquent le commerce informel de l’essence de contrebande. Ou encore une toile qui parle de l’art divinatoire : la géomancie.

Le Musée_Ouidah_Visite complexe scolaire de Grèce_Salle Aston©Jean-Dominique Burton.1
Crédit photo: Jean-Dominique Burton

Aston, un artiste béninois qui fait de la récupération est aussi présent dans cette collection avec son œuvre « catastrophe » dans lequel il schématise la population béninoise avec des bouts de plastiques récupérés  qui se bat pour un épi de maïs. Mais « Catastrophe » pourquoi ?  En 2009, la fondation Zinsou a organisé  une exposition nommée « Bénin 2059 ». L’objectif était d’imaginer le Bénin dans 50 ans. Une sorte de projection. « Lors de cette exposition Aston par son œuvre [prédit] que ce serait une pure catastrophe à cause de l’exode rural. Explique le guide du musée. Il se pose la question de savoir si  tous les jeunes quittaient les villages, à qui la terre sera laissée ? Selon lui si ce phénomène ne cesse pas, il y aura la famine. Toute la population béninoise se battra pour un seul épi de maïs ».

On ne peut non plus oublier Cyprien Tokoudagba, l’un des tous premiers artistes africains ayant eu une reconnaissance internationale. Né à la fin des années 30, il est mort en 2012. Cyprien Tokoudagba est spécialisé dans le bas-relief et a le mérite d’avoir restauré tous les palais royaux d’Abomey. Il est aussi présent à Ouidah. Les grandes sculptures qui longent la route des esclaves à Ouidah portent sa signature. Dans la salle affectée à ses œuvres, les toiles de Cyprien mettent en évidence les emblèmes des différents rois d’Abomey. L’on peut facilement reconnaître celui du roi Béhanzin, le plus célèbre roi d’Abomey, symbolisé par un requin et un œuf.

A tous ces différents artistes, s’ajoutent les œuvres de plusieurs autres artistes de différentes nationalités. Ils viennent de Belgique, du Congo, du Sénégal, de la Tanzanie et de l’Ethiopie.

 

Hermann BOKO

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