23 décembre 2013

La double-culture, une clé d’ouverture aux autres

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Crédit photo: lepoint.fr

Pour certains binationaux d’origine béninoise c’est assez gravissime d’imposer la nationalité unique à des êtres issues d’horizons diverses comme cela a été longtemps le cas en Allemagne pour des ressortissants hors Union Européenne.

L’air se laisse facilement corrompre par les relents du café et de la cigarette dans son bureau situé au troisième étage de l’immeuble où siège la Fondation Zinsou dont elle est la présidente. Pour cette fin d’année, Marie-Cécile Zinsou, cette Franco-Béninoise de 31 ans, passionnée de création contemporaine est très sollicitée. Elle vient d’ouvrir à Ouidah, capitale historique du Bénin, le premier musée d’art contemporain de l’Afrique subsaharienne (à l’exception de l’Afrique du Sud). Elle en vient même à être surnommée l’Amazone de l’art africain contemporain. Ce musée suscite beaucoup d’intérêt de la part des médias internationaux. Entre deux réunions, elle a accepté de nous parler de ses origines diverses et de sa double-culture : la France et le Bénin. Cette double culture qui sûrement lui a permis de nourrir un grand amour et une passion pour l’art contemporain et de pouvoir le partager à sa seconde patrie le Bénin et ces milliers d’enfants qui représentent 70 mille de ces 4 millions de personnes ayant visité jusqu’aujourd’hui la Fondation Zinsou.

La double-nationalité, elle la conçoit comme une chance. « C’est la chance de ne pas être restreint en une seule culture, c’est une obligation de s’intéresser à plusieurs phénomènes. La double nationalité est une énorme chance d’ouverture. Les gens ont tendance à voir le monde de là où ils sont, mais quand on a une double-culture, on a deux points de vue sur le monde dès le départ. Le métissage est une des clés d’ouverture aux autres ».

Marie-Cécile Zinsou a vécu une plus grande partie de sa jeunesse en France. Elle y est née de son père Franco-Béninois, Lionel Zinsou, économiste assez connu en France. La rencontre avec la culture béninoise s’est faite il y a juste 10 ans en 2003. «  Pour des raisons politiques, je n’ai pas grandi au Bénin. Puisque ce n’était pas possible. Quand je suis née on était dans un contexte politique où ma famille n’était pas la bienvenue dans le pays. Donc j’ai grandi d’abord en France où mon père et ma mère se sont rencontrés. Après nous sommes partis vivre en Angleterre quelques années avant de revenir en France. Et à partir de là nous avons beaucoup voyagé ».  Beaucoup voyager ! Énormément  vers l’Afrique. Sans une moindre escale au Bénin.

A la fin des années 60, le Bénin va connaître un régime militaire qui propulsera au pouvoir Émile Derlin Zinsou, grand oncle de Marie-Cécile. Il sera renversé un an plus tard par un putsch en décembre 1969 et devient un des principaux opposants du parti unique imposé par le président Matthieu Kérékou. Le 16 janvier 1977, l’on tente de renverser par un coup d’état le régime marxiste de Matthieu Kérékou sans succès. Les accusations sont lancées contre Émile Derlin Zinsou par le pouvoir en place. Bien qu’il ait nié toute participation à cette opération, il est condamné à mort par contumace  et est forcé à l’exil. En 1990, tous les exilés politiques sont conviés au pays pour la conférence des forces vives de la nation et l’instauration du renouveau démocratique.

Imposer la nationalité unique est illégal !

En 2003 donc, elle rentre au pays. Et pour une première rencontre avec sa seconde culture, elle décide de s’y installer. « Je n’étais jamais venue en vacances au Bénin. Je me suis installée définitivement et directement avec une certaine inquiétude de la famille. A cause de mon père qui avait été expulsé du pays à 18 ans et qui avait perdu sa nationalité. Moi la première chose que j’ai faite a été de récupérer ma nationalité. J’ai fait la démarche tout de suite en arrivant pour que cela soit immédiatement reconnu et qu’on ne me prive pas de ce droit que j’avais d’être Béninoise. Je suis venue en 2003 et j’ai été Béninoise officiellement en 2004 ».

Déjà elle ne conçoit pas le fait qu’on puisse priver un être de sa nationalité comme c’est le cas dans ces pays qui pratiquent la nationalité unique. « Je dirai même que c’est gravissime. Cela consiste à nier une partie de la personne. Je pense que cela n’a aucun sens. Moi on ne peut pas me retirer aucune de mes deux nationalités. Si l’on me demandait de faire un choix, ce serait absurde. Je ne pourrai pas choisir. C’est une négation pure et simple. Cela devrait-être illégal de ne pas avoir une nationalité à laquelle on a le droit ».

Djalil, lui est Ukrainien d’origine béninoise. Et pour lui choisir une nationalité au détriment d’un autre reviendrait à choisir entre son père et sa mère. Il vient d’avoir 28 ans et est né à Kiev. Il a vécu ses dix premières années en Ukraine. Pays qui pratique aussi « le droit du sang ». « Moi le côté Ukrainien je le tire de ma mère. Et le côté béninois, de mon père. Et on ne peut pas me demander d’être seulement Ukrainien ou seulement Béninois ».

Pour Marie-Cécile Zinsou, il est impossible de la dissocier des deux cultures. Elle est autant Béninoise que Française. « Je suis les deux pleinement » comme le dit si souvent Jamel Debbouze quand on lui demande s’il est Marocain ou Français.

« Ce serait difficile de dire ce qui est français chez moi et ce qui est béninois. Je suis capable d’être totalement Française et d’être totalement Béninoise. J’ai des fiertés assez similaires. J’ai la même fierté de la France que du Bénin. J’ai le même respect pour Charles de Gaulle que pour Hubert Maga. Je ne pourrai pas dire qu’il y a des choses qui m’attachent plus à la France ou qui m’attachent plus au Bénin », explique-t-elle.

« On ne peut jamais être les deux pleinement » répond Claude,  un binational. « Il y a toujours un côté que l’on privilégie », soutient-il.  Et c’est surtout par rapport au fait que l’on vit dans l’un des deux pays ou que l’on y travaille. Et c’est en cela qu’il trouve assez gauche la politique de la nationalité unique en Allemagne. « Des descendants d’immigrés qui sont nés et ont grandi en Allemagne, et qui pensent comme des allemands, sont plus qu’allemands que Turcs. C’est pareil en France avec les arabes et les noirs qui s’illustrent dans le show business ou le foot ».

Marie-Cécile avoue cependant qu’il y a des choses qui lui ont été difficilement assimilables : « J’avoue que je suis plus ‘’les bleues’’ que ‘’les écureuils’’, côté sportif. C’est beaucoup plus intéressant avec la coupe du monde qui s’annonce. Ou que je n’arrive pas à m’adapter à certaines choses. Sur le plan gastronomique par exemple, Je n’ai pas une passion pour la pâte. Ce n’est pas quelque chose qu’on m’a apprise toute petite. Ce n’est pas un truc qui me fait rêver. Mais heureusement ce qui me touche, c’est la musique, c’est l’histoire, c’est la création. Ce sont ces choses qui me permettent d’être Béninoise ».

Voyager, tout un avantage à être de plusieurs nationalités

Djalil lui un peu plus jeune opterait beaucoup plus pour la Vodka qui lui  rappelle l’Ukraine, sans oublier la langue russe qu’il comprend très bien. Il a gardé aussi un  lien très étroit avec ses amis d’enfance. La manière dont le Béninois conçoit l’amour et la vie en couple le rapprocherait de son côté béninois.  «  Au Bénin, le fait que la femme sache préparer est un préalable important pour la prendre en mariage. Et l’homme attend d’avoir le minimum. En Ukraine, c’est beaucoup plus l’amour et moins le matériel. Vous vous construisez ensemble », rapporte-t-il.

Djalil aussi à son arrivée au Bénin, la gastronomie a été pour lui un obstacle à son intégration mis à part le fait qu’il ne comprenait aucun mot français. Mais il s’est très vite adapté : «  Je ne supportais pas les épices par exemple. Aujourd’hui, je ne me vois pas manger sans épices ». Il parle correctement le français et la langue locale.

Il suit l’actualité politique de l’Ukraine tous les jours. Et par rapport à la crise que traverse actuellement ce pays, il a sa propre idée sur la question. Il serait favorable à une entrée du pays dans l’UE. Cela lui permettrait de voyager beaucoup plus facilement.

Voyager : toute la jouissance du fait d’être détenteur de plusieurs cultures et de nationalités se retrouve là. Tout un symbole de liberté. « C’est très pratique pour les voyages. Vous n’avez de visa pour presque pas de pays » se marre Marie-Cécile.

S’il n’y a que des avantages à être de double-culture, c’est sans compter avec les différentes subtilités propres au métissage. Bien souvent le métis est considéré comme noir en occident et blanc en Afrique. Marie-Cécile, sa couleur de peau peut prêter à confusion. Elle est quarteronne. Et elle n’est souvent pas confrontée à ce problème. Sauf qu’au Bénin, l’on continue de la considérer comme une  ‘’yovo’’ [ndlr : mot pour désigner la peau blanche en langue locale fon. Pas péjoratif ]. « Ce qui est amusant dans le métissage c’est que les gens vous pense toujours de l’autre côté. Ici souvent les gens pensent que je suis juste Française. Ils ont du mal à admettre que je sois Béninoise ».  Mais sur ces différentes appréciations que peuvent avoir les personnes sur elle, Marie-Cécile n’en a cure. Elle répond souvent ainsi quand on l’interpelle là-dessus. « C’est plutôt un manque d’éducation quand on continue d’associer au 21ème siècle, la nationalité à une couleur de peau ».

Hermann BOKO

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