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Je suis francophone, pourquoi devrais-je apprendre l’anglais?

La Francophonie dans le monde

Ce billet n’est pas un réquisitoire contre la langue française, la francophonie ou son instance faîtière. Même s’il en a tout l’air, je n’ai pas envie qu’il soit apprécié ou considéré comme tel. Ce billet n’est qu’un ressentiment profond. C’est l’extériorisation de ce que j’ai ruminé en mon for intérieur pendant bien longtemps.

Je suis francophone, pourquoi dois-je apprendre l’anglais ? C’est une question que je me pose bien souvent, et je ne suis pas le seul. Ils sont nombreux ceux qui tentent chaque jour de comprendre et de trouver une réponse à cette nouvelle donne.

Ils sont nombreux aussi ceux qui se sont posés au moins une fois cette question : « Pourquoi suis-je né dans un pays francophone? Pourquoi n’avoir pas grandi dans un environnement anglophone ? Là-bas, on dit que tout bouge. Il y a 3 fois plus d’opportunités avec la langue anglaise que le français ». Très rapidement un aîné est souvent passé par là. « Mon frère t’as de l’avenir. Mais tu gagnerais beaucoup à apprendre l’anglais. Je sais de quoi je parle… »

Mais eux, les anglophones, ce sont-ils une fois posés la question : « Je suis anglophone, pourquoi dois-je apprendre le français ? ». Eux, avec leurs airs d’ « autosuffisants » et d’autonomes sur le plan linguistique. Moi, j’ai déjà entendu, un Nigérian me dire. « I’m english-speaker, what will i do with french ? English rules the world ! » Imaginez toute ma honte et mon exacerbation. Ils ont bien raison. L’anglais est la première langue vivante. La communauté anglo-saxonne est toujours au premier rang dans les grandes instances décisionnelles. Leurs produits manufacturés et inventions toujours en première loge dans les échanges commerciaux. Nous, francophones, devions courir derrière cette langue pour être présents. Sur le plan géopolitique et diplomatique, nous francophones devons attendre qu’ils décident ; sur le plan de santé publique, attendre qu’ils donnent leur avis. C’est plutôt inconfortable comme position.

Tout cela parce que culturellement, le colonialiste français nous a abrutis, et l’anglais a concédé des pouvoirs décisionnels à l’autochtone. Évidemment, ils ont été préparés à être plus dynamiques, plus compétitifs, plus productifs.

Je ne vais pas cracher dans la soupe. Je suis Béninois et donc francophone. J’ai une belle langue : le français. Mais nous francophones qu’avons nous fait pour que cette langue reprenne le pas ?

On parle d’une Organisation. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Créée pour promouvoir la langue française. On la voit beaucoup plus dans un rôle de ‘’l’ONU de l’espace francophone’’ de nos jours. Alors qu’elle devrait militer pour que beaucoup plus d’étrangers puissent s’intéresser à notre langue, elle stagne sur les acquis émanant de la période coloniale. En tout cas, je n’ai encore rien vu de concret pour ce qui est du volet promotion de la langue française. Tout ce que j’ai vu, c’est la fermeture du Centre culturel français de Lagos ; l’entrée du Rwanda au Commonwealth : dommage ils ne sont plus nombreux, ceux qui parlent bien français là-bas ; bientôt le Gabon suivra le pas ; et l’anglicisme du français et des Français. Dissuadez-moi !

Notre chère langue n’est même plus attractive. Par exemple le français est en forte perte de vitesse en Angleterre ; un pays dont la capitale Londres reste la première destination des Français. En vingt ans, le nombre d’élèves anglais étudiant le français a chuté de moitié :  300 000 élèves en 1993 à moins de 120 000 en 2013. On ne pourra en dire autant pour la France où l’on apprend l’anglais depuis le primaire.

Fort heureusement pour nous, le Ghana est encore ce pays qui manifeste son intérêt pour la langue française. Elle y est au programme jusqu’au collège. Eux, ils sont bien obligés. Le pays est enclavé entre trois pays francophones : la Côte d’Ivoire à l’Ouest, le Togo à l’est et le Burkina-Faso au nord. Le Nigeria n’en est pas moins enclavé. Avec le Bénin, le Tchad, le Niger et le Cameroun comme pays limitrophes. Mais elle ne manifeste pas pour autant son intérêt pour le français.

Que se passerait-il si nous pays francophones décidions tous de tourner le dos au français à la culture francophone pour aller vers une culture anglophone comme l’a fait le Rwanda ? Il est à noter que l’Afrique reste le plus grand réservoir de francophones dans le monde avec près de 96 millions de francophones sur les 220 millions que compte la francophonie aujourd’hui.

Une anecdote : j’ai rencontré un Nigérian à l’aéroport d’Orly à Paris. Il tentait vaille que vaille de converser avec moi. J’ai donc joué le jeu. Avec mon mauvais anglais, je me faisais comprendre. Lui ne pouvait dire un mot en français. Il me faisait comprendre qu’il aimait beaucoup le français, mais le seul mot qu’il pouvait dire c’est, tenez-vous tranquille : BONZOUR ! Il m’a aussi dit qu’il n’a pas le temps d’apprendre le français parce que c’est très difficile.

Seconde anecdote : durant mes séjours ‘’Monde Académie’’ en France, on a eu droit à une formation de la correspondante du ‘’Times’’ à Paris. Elle nous faisait toucher du doigt l’importance du fact-checking en journalisme. Il était prévu un interprète pour ceux qui ne avaient des difficultés en anglais. Mais finalement nous n’avons pas eu droit à notre interprète parce que les journalistes-formateurs du monde, vu que « bon nombre d’entre nous avaient une notion d’anglais, ont jugé bon de ne plus faire appel à un interprète ». Figurez-vous que toute la communication de cette correspondante à Paris (son lieu de travail) s’est faite en Anglais, alors que nous étions en France. Les deux mots qu’elle a su dire, c’est « bonjour et merci ». Nous monde-académiciens étions encouragés à lui poser des questions en anglais. Pourquoi devions-nous le faire en anglais ? Sommes-nous en France ou en Angleterre ? Et tous les journalistes français présents étaient ravis ! C’est quand même marrant !

La question est : faut-il forcément parler l’anglais pour faire partie de l’élite ?

Etant francophone, et malgré toutes les richesses de cette grande communauté, je suis bien obligé d’apprendre l’anglais pour ne pas être en déphasage avec mes rêves ! C’est toute ma frustration. Et c’est plutôt dommage !

Hermann BOKO